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IV. Le chant de la fraternité

Istanbul se présente à moi enfin. Me voilà plongé dans ses quartiers infinis. La vitesse de la ville est affolante par rapport à Tunceli ou à mes précédentes destinations. Des quatre coins de la Turquie, des populations entières ont afflué vers elle. Car Istanbul a toujours été, dans son histoire, une ville d'étrangers. Elle est la ville la plus peuplée de Kurdes au monde. Éparpillés sur les deux rives du Bosphore, ils sont plus de 4 millions à habiter la métropole.

 

À la tombée de la nuit, un petit peuple se rassemble autour d'un spectacle de rue. J'aperçois des halays, des rondes de danse, se former spontanément autour du chant énergétique de deux chanteurs. "Biji, biji YPG !" ("longue vie aux YPG", les guérilleros kurdes en Syrie)  chantent-ils à l'unisson. La ronde de danse s'agrandit pour ensuite devenir un rassemblement, une manifestation. La clameur se dirige vers le Bostancı Gösteri Merkezi, la salle de concert du voisinage.




Les maisons de disques kurdes ont connu un passé agité, trouver leurs publications sera compliqué.

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Je me fraye un chemin à travers le halo de fumigènes pour atteindre la salle de concert. Lorsque je franchis les portes, un océan de drapeaux du Kurdistan se déverse devant mes yeux. Des mégaphones crient à tue-tête pendant que des discours et des concerts donnés par des groupes de musique s'enchaînent dans une soirée à l'ambiance électrique.


 

Sur les murs, je retrouve une nouvelle fois les "Biji YPG" et les "Berxwerdana Kobanê" ("Résistance Kobané"). Ce soir, tout le monde chante pour “Rojava”, dans un élan de fraternité. La scène est prête pour l’arrivée de la tête d’affiche, Kardeş Türküler.




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♪ Kardes Türküler - Rojava 

"Rojava!"

Le concert fini, je me glisse dans les coulisses de la scène. Vedat Yıldırım, l'un des chanteurs, s'éponge la figure. "Il fait étouffant là dedans !" soupire-t-il.


Installé tranquillement, il m'aperçoit et m'invite à boire un coup avec lui. "Je vous reconnais du concert" dit-il en ricanant. "Prenez place !".


Vedat m'a expliqué la posture du groupe vis-à-vis de Kobané, et ce que la résistance représente pour son groupe, Kardeş Türküler.





 

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— Pourquoi avez-vous écrit une chanson pour Kobané ?


— Au début, on s'est demandé : "Qu'est ce qu'on peut faire pour Kobané en tant que musiciens ?" On a voulu soutenir les partisans de la liberté, et on les a aidés financièrement avec notre collectif. Mais avant tout, la chose qu'on a voulu faire pour eux, c'était la chanson de leur boycott. 


"Notre point de départ sera toujours dans la musique traditionnelle. On prend notre force dans la tradition des dengbêjs, ou des aşıks, mais nous voulons mettre tout cela à jour."


"Nous faisons d'abord de la recherche dans ces cultures pour obtenir de la profondeur dans nos chansons. Nous sommes partis voir de nos yeux Rojava, et l'inspiration nous est venue."

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La nuit stambouliote évaporée, les rondes de danse se séparent doucement. Le cri de Rojava reste dans mon esprit.

 

Le matin suivant, je décide de m'aventurer dans la jungle des disquaires et des cassettes. Là–bas, d'autres pépites m'attendent.




— Vous empruntez des rythmes et des sonorités qui sont des réminiscences de la musique folklorique kurde...


— Nous composons toujours à partir des racines de la musique traditionnelle. On puise notre force de la tradition des dengbêjs, ou des aşıks, mais nous voulons mettre tout cela à jour. Nous faisons d'abord de la recherche dans ces cultures pour obtenir de la profondeur dans nos chansons. Nous sommes partis voir de nos yeux Rojava, et l'inspiration nous est venue.

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— Pourquoi ressentez-vous de la solidarité à l'égard du peuple de Rojava ?

— Le nom de notre groupe signifie "Les chansons de la fraternité" ; et nous nous battons pour la réconciliation entre les différentes cultures en Turquie. Du coup, une région multiculturelle comme Rojava est important pour nous. Rojava est devenu un projet artistique pour Kardeş Türküler. 


Dans cette région, on peut retrouver des Kurdes, des Assyriens, des Syriens et des Turkmènes. C'est un système qui peut devenir un modèle pour le Moyen-Orient. C'est pour ça qu'on les soutient.


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