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​Sur la route d'Istanbul, dans la région de Tunceli, je retrouve bon nombre de troubadours, de chanteurs itinérants. Leur luth sur le dos, ils parcourent le pays de village en village. Mais où qu'ils aillent, ils garderont toujours en tête les tendres mélodies de leur enfance. En Turquie, chaque ville a sa propre signature, que ça soit en musique ou en gastronomie, les recettes se préservent de génération en génération. 


Ahmet Aslan est revenu dans sa ville natale, Tunceli (autrefois nommée Dersim, avant la turcisation). Nos routes se croisent alors qu'il compte se diriger vers Diyarbakır pour donner l'ultime concert de sa tournée. Le petit détour à Tunceli était inévitable. Parce que revenir chez soi réveille des sentiments de toutes sortes, bonnes et mauvaises. 






"Ma ville, c'est Dersim. Une ville multiculturelle en Anatolie où coexistent des Turcs, des Kurdes , des Alévis, et des Arméniens. Je suis moi-même moitié kurde, et je parle un dialecte de la région, le kurde zazaki."

"Mon enfance était malheureuse. Je n'ai jamais pu parler ma langue à cause des interdictions. Les militaires étaient partout pour nous contrôler, dans la rue ou à l'école."

"A l'école, je n'ai pas pu apprendre le kurde zazaki et je ne sais pas encore bien l'écrire ni le lire. On nous apprenait que le turc."

"Mes chansons parlent beaucoup de mes souvenirs de cette horrible époque..."

III. Le chant de la mélancolie

"Les temps ont changé maintenant" me dit Besime Sen, une spécialiste de la musique kurde. "L'ouverture du gouvernement vis-à-vis de la culture kurde aurait été inespérée il y a quinze ans". "Mais attention, certaines limites restent présentes et les Kurdes connaissent ces limites dans la vie de tous les jours. On ne peut pas dire ce que l'on veut n'importe où, car l'ouverture à la culture kurde varie selon les villes en Turquie".


Ahmet peut aujourd'hui chanter en zazaki, sa première langue, dans des salles de concert à Diyarbakır, Dersim ou Istanbul. Pendant les années d'interdiction, il s'était installé à Cologne, en Allemagne, comme beaucoup d'autres musiciens bannis de l'époque. Depuis son retour, il doit subir l'étiquette politique qui est attribuée à tous les musiciens kurdes. Dans sa région, les musiciens sont traditionnellement engagés dans leurs paroles. Ahmet, quant à lui, préfère se retirer au calme pour jouer ses propres chansons.










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 "Ce n'est pas la question de quelle musique, quelle langue tu choisis de chanter ou de jouer... ce qui compte, c'est de savoir partager une émotion". Au-delà des langues et des messages politiques, c'est dans le non-dit, dans la seule pureté sonore, qu'Ahmet veut trouver toute son expression. Sur ces derniers mots, l'homme aux cheveux argentés se lève et m'adresse une franche poignée de main avant d'enfiler sa guitare sur le dos. 





"Je ne sens pas le besoin d'apprendre plus sur cette tradition de contestation, parce que j'ai déjà vécu dedans. Je veux sortir de tout ça et essayer de nouveaux instruments, de nouvelles musiques du monde".


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Ahmet me montre une photo datant de la rébellion de Dersim entre 1937 et 1938, avec des militaires turcs en arrière-plan entourant des femmes et des enfants de la région.

La rébellion de Dersim a été instiguée par des chefs tribaux kurdes zazas, opposés aux mesures modernisateurs de la République turque. L'intervention de l'armée causa plusieurs milliers de morts, même si à ce jour, les chiffres restent encore disputés. Les descendants des victimes se battent depuis des décennies pour la reconnaissance du massacre.


Depuis ces jours funestes, les chanteurs ont continué à écrire à la mort des victimes. L'inspiration lyrique de ces évènements perdure à ce jour puisque de nombreuses chansons du répertoire d'Ahmet font allusion à "Dersim 1937/1938".


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En route pour Istanbul!

Un concert nous attend.

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♫ Ahmet Aslan - Yarim Derdini Ver Bana 

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Reprenons la route d'Istanbul. Là-bas, un grand concert va commencer 


Crédit photo: Radikal

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